Une annonce dans le journal « Encan Public » attire l’intérêt de plusieurs consommateurs.
On y annonce la tenue d’un encan dans un hôtel Sheraton pour y vendre :
« Gouvernement canadien diamants certifiés série no CS4971-07-0926 » inscrit entre deux drapeaux canadiens.»
« Montre suisse Rolex – Cartier – Patek – Breitling – Omega – Piaget – Chopard – Ulysse Nardin – IWC – Panerai – Bulgari »
« Bijoux de grande valeur saisi dans les aéroports section 12 et 110 et autres bijoux importés. Frais de douane et certifiés autres bijoux, bagues, bracelets, boucles d’oreilles, rubies, émeraudes, saphir, etc. »
Au bas de l’annonce on peut lire en petits caractères : « toute vente est finale. Beaucoup d’articles ne seront vendus sur la base Termes : Visa, Master Card, interac, chèque certifié ou comptant. La prime d’acheteurs de 15 % à être ajoutée.
L’histoire de Nathalie.
Elle voit l’annonce dans le journal et décide de se rendre à l’hôtel en étant convaincue qu’il s’agit d’un organisme gouvernemental fédéral qui liquide les biens saisis aux douanes. – Premier constat : le gouvernement n’aurait pas publié une publicité avec autant de fautes d’orthographe et de syntaxe. Je crois même qu’elles sont insérées volontairement pour prêter à confusion. On aurait dû lire « Diamants canadiens certifiés par le gouvernement » et non pas « Gouvernement canadien diamants certifiés » . 2e constat : à l’entrée de la salle d’encan, aucune affiche ne permet d’identifier la maison d’encan, ni l’organisme soit disant gouvernemental.
On lui demande son permis de conduire dont on prend une photocopie sur une feuille pré-imprimée qu’on lui demande aussi de signer. On ne lui en remet pas une copie. On lui explique que si elle achète un produit de la vente, elle a l’obligation de payer le prix affiché à l’écran plus 15 % de commission plus la TPS. 3e constat : vous avez l’obligation de présenter votre permis de conduire à tout policier qui vous en fait la demande, mais personne d’autre ne peut l’exiger, encore moins une compagnie avec laquelle vous n’avez fait aucune transaction pour le moment. 4e constat : vous signez un document, vous êtes en droit d’en avoir une copie. 5e constat : vous signez bien plus qu’une simple obligation de payer en achetant un produit. L’encanteur se protège de tous bords, tous côtés et se libère de toute responsabilité, obligation, garantie… En lisant les petits caractères, on a raison de commencer à s’inquiéter. 6e constat : on ne lui facturera pas la TVQ ? Cette transaction se passe pourtant physiquement au Québec. Cette compagnie n’est donc pas au registre des entreprises du Québec ? Provenant de l’extérieur, a-t-on une adresse? Non, nulle part. Cette compagnie a-t-elle un permis pour venir vendre ici ?
On lui remet une feuille sur laquelle un gros numéro à 3 chiffres est imprimé ainsi qu’une liste de tous les objets à vendre avec quelques détails : teneur en or, quantité et poids des pierres. 7e constat : aucun prix de réserve (prix de départ) n’est indiqué, aucun prix d’évaluation ou valeur à neuf.
Nathalie entre dans la salle ou l’encan se tient. Tous les bijoux et montres sont derrière des comptoirs vitrés, certains dans une boîte individuelle, des bagues et joncs de moindre valeur sont regroupés dans des présentoirs. Nathalie désire essayer une bague, elle s’adresse à une des jeunes filles aux jupes courtes et moulantes derrière le comptoir qui lui permet d’essayer la bague mais qui n’a pas les réponses à ses autres questions. Pour connaître le prix d’évaluation d’un article, un cartable contenant toutes les évaluations est à la disposition des intéressés, mais il y a foule… 8e constat : un seul cartable, ou une seule copie de toutes les descriptions des pièces, regroupées à un seul endroit, n’est pas une formule habituelle dans les maisons d’encan. Normalement, chaque article est accompagné d’une fiche descriptive complète, indiquant les poids, puretés, couleurs, métal et sa teneur. Dans ce cas-ci, faites la file si vous voulez connaître la qualité des pierres et le prix d’évaluation. L’encan commencera peut-être avant que vous n’ayez pu avoir les réponses à vos questions.
On demande le silence. Tout le monde s’assoit. Une dame bien mise présente le premier bijou. Une photo est affichée sur un écran géant ainsi que l’évaluation qui l’accompagne. On donne un prix de départ et c’est parti. Quelques personnes dans cette salle semblent des habituées de la place, elles misent souvent… ça fait monter le prix. Tout ce qui se passe dans cette salle est filmé. Une jeune fille se promène dans la salle pour faire voir ‘en vrai’ la pièce présentement en cause.
À son tour, la bague convoitée par Nathalie s’affiche sur l’écran, avec l’évaluation de la « Canadian Insurance Jewellery Appraisal » avec logos, symboles et encore là, deux petits drapeaux canadiens. Ça fait vraiment officiel. Elle est signée par Mehdi Vafaee. On peut y lire en anglais seulement « ce qui suit est une description et un prix de remplacement basé selon les prix du marché au moment de l’évaluation ». Bague en or blanc, un diamant pesant environ 1.04 carat, pureté I-1, couleur F, taille rond brillant, et 24 petits diamants totalisant environ 0.47 carat sertis sur les épaules. Le prix de remplacement de cette bague est estimé à 21 800 $. Les enchères montent et la sonnerie se fait entendre sur le prix offert par Nathalie, 6 500 $. Elle est convaincue d’avoir réalisé l’aubaine du siècle à moins du tiers du prix réel. Elle sort de la pièce, passe à la caisse ou on ajoute la commission du ‘commissaire priseur de l’encanteur de 15 % : total avant taxes : 7 475 $.
Nathalie se retrouve chez moi pour faire une mise de grandeur sur sa nouvelle bague. Je lui explique les coûts pour ce travail puisqu’il faudra ressertir tous les petits diamants qui sont sertis sur les épaules. J’examine la bague et l’installe au microscope pour lui faire remarquer la qualité de son diamant. Devant cette déception, elle me demande d’en faire l’évaluation. Tout bien calculé, j’arrive à un prix à neuf de 6 250 $ plus taxes. Autrement dit, je peux lui vendre une bague identique et de même qualité aujourd’hui pour ce montant, en prenant une marge de profit régulière appliquée par l’industrie.
Elle me demande de lui fournir une évaluation écrite, ce que je fais devant elle. Je lui suggère d’avoir une deuxième opinion au cas où je me serais laissée influencée par ses propos. Ma collègue dont le laboratoire indépendant est à Montréal évalue la bague à 6 000 $.
Nathalie tente de se faire rembourser. Elle tombe toujours sur une boite vocale chez l’encanteur alors elle laisse des messages. Le premier très gentil, un autre pour dire qu’elle envoie des documents par télécopieur – dont ses deux évaluations à 6 000 $ et 6 250 $ – pour justifier sa demande de remboursement, le dernier pour les informer qu’elle entreprendra des procédures légales. Elle envoie par écrit sous enveloppe enregistré, en français et en anglais, une demande de remboursement pour la totalité de son achat.
Deux semaines plus tard, sans nouvelle, Nathalie dépose une plainte pour faux escompte et fausse représentation au Bureau de la Concurrence – organisme gouvernemental fédéral. Elle fait aussi plainte auprès de Joailliers Vigilance Canada (JVC) qui l’avise qu’elle est la 5e plainte reçue suite à une transaction avec un certain encan public et que sa plainte est transférée au Bureau de la Concurrence, auprès de l’Association canadienne des Bijoutiers (CJA), de la Corporation des Bijoutiers du Québec (CBQ). JVC lui suggère aussi de porter sa plainte auprès de Better Business Bureau (BBB), et auprès de l’Office de la Protection du Consommateur.
Elle laisse un message à l’accueil de « La Facture », émission de Radio Canada, et « Journaliste d’Enquête (JE) » de TVA, deux émissions aux fortes répercussions et dont les journalistes n’ont pas froid aux yeux.
Elle laisse un dernier message sur la boîte vocale de la maison d’encan que les médias sont avisés et qu’elle déposera, le lendemain, devant le tribunal, une demande d’audience pour qu’un juge oblige la compagnie à la rembourser complètement, son achat plus tous les frais encourus lors de sa démarche.
Là, elle a eu un retour d’appel. Moi aussi, j’ai reçu un appel d’un dirigeant de la compagnie qui cherchait clairement à m’intimider.
Nathalie a finalement été remboursée, quatre mois après son achat. L’histoire ne dit pas ce qui a motivé la maison d’encan à réagir. L’appel d’un journaliste? La pression d’un organisme? Le dépôt de la plainte devant le tribunal?
Acheter un bijou devrait être une histoire romantique, un plaisir d’apprendre et un bonheur de se gâter (ou gâter une personne qu’on aime). L’expérience devrait être agréable et vous devriez en tirer une satisfaction à tous les égards, savoir que vous avez payé un prix honnête en ayant été servi avec courtoisie.
Un cas comme celui-ci fait un mal terrible à l’industrie des bijouteries. Nathalie n’aura plus tellement envie de s’acheter un bijou de qualité et si l’envie lui revenait, elle sera d’une méfiance incroyable. C’est compréhensible.
Si vous voyez une publicité dans un journal annonçant la tenue d’un encan et une vente de biens « saisis aux douanes » ou « saisis par des corps policiers » ou ‘vendus pour le gouvernement », faites vos devoirs :
– Informez vous sur la maison d’encan :
Fait-elle l’objet de plaintes auprès de JVC ou de la CJA ou de la CBQ – les liens à ces organismes sont sur notre site?
Avez-vous toutes ses coordonnées? Adresses et numéro de téléphone
Pouvez-vous voir sur leur site web toutes les pièces qui seront mises en vente lors du prochain encan? Nous sommes en 2012 et ces informations sont disponibles sur les sites des bonnes maisons d’encan.
– Si vous avez un doute, rapportez rapidement à la CJA ou à la CBQ toute publicité annonçant la tenue d’un de ces encan public ou enchère publique afin de donner aux responsables la possibilité d’intervenir.
Il existe des gens malhonnêtes, qui font de la fausse représentation, qui contreviennent aux lois et à l’éthique. Essayez de courir après eux pour être remboursé si vous réalisez, trop tard, avoir été induit en erreur… Nathalie vous dira tout le temps et les efforts que ça prend.